Prise de poids pendant le confinement

Et si on regardait au-delà de la caricature

C’est l’info « légère » du jour dans les médias, au milieu de toutes ces informations anxiogènes de l’épidémie : pendant le confinement la prise de poids des français est de 2,5 kg.

Au journal de la mi-journée d’une grande radio nationale (= une radio qui a beaucoup d’audience), la journaliste reçoit un médecin nutritionniste pour en parler.

Les raisons de cette prise de poids : le manque d’activité physique, les grignotages, les apéros en vidéos…

Le ton est à la caricature. Et si on regardait au-delà de cette caricature.


Le constat

- c’est une prise de poids moyenne, cela veut dire que pour certains cette prise de poids est supérieur. Pour la journaliste ce n’est pas grand-chose, le médecin fait remarquer qu’à ce rythme, sur l’année, cela l’est. J’ai fait le calcul + 18 kg en 1 an.

- A aucun moment, on n’évoquera la souffrance que cela peut engendrer ; j’entends même la réflexion suivante « de toute façon on ne pourra pas aller sur les plages cet été alors on s’en moque des kilos en trop »… Que c’est réducteur, que la souffrance est niée.

- pendant ce confinement, voici ce que j’ai pu observer, au cours des téléconsultations :

        • plus de 90 % de mes patients souffrant de trouble des conduites alimentaires ont vu un renforcement de leur troubles. Les patients anorexiques sont plus restrictifs et ont accentué leur dénutrition, avec pour certain une hospitalisation serait souhaitable.
        • les patients boulimiques ou souffrant de compulsions alimentaires vivent une augmentation des crises boulimiques ou des compulsions alimentaires.
        • les patients obèses, sont à risques de complication en cas de Covid-19, ils culpabilisent de ne pas réussir à réguler leur poids, ils culpabilisent de leur obésité en elle-même, ils se sentent stigmatisés
        • pour tous, il y a perte d’estime de soi, de confiance en soi
        • La souffrance est très forte
        • On n’évalue pas encore les rechutes qu’il y aura eu pendant ce confinement pour les patients souffrant de TCA. La perte des repères sécurisants du quotidien, l’anxiété par rapport à l’épidémie, (anxiété entretenue collectivement par rapport à cette situation inédite), aura réactivé leur trouble alimentaire. Là aussi, il y a aura de la perte d’estime de soi et de confiance en soi, et de la culpabilité d’avoir rechuté.

Pour tous ces patients, comment vivre dans un contexte totalement insécurisant, avec la perte de tous les repères sécurisants sur lesquels ils s’appuient pour pouvoir mieux gérer leur rapport à la nourriture ? on comprend qu’ils reviennent à ce besoin de contrôle de leur alimentation qui les poussent à vouloir contrôler leur poids, à la restriction alimentaire pour certains et à la perte de contrôle dans des crises alimentaires pour les autres.


il y a des points positifs au rapport à l’alimentation : les gens prennent le temps de cuisiner, achètent bio, local, prennent le temps de manger.

C’est tout à fait vrai, c’est une bonne dynamique.

Cela dit, il ne suffit pas de manger, bio, local, de cuisiner soi même et de prendre le temps de manger pour réguler notre poids.

    • Si je prends le temps de manger mais que je mange au-delà de mon rassasiement, je mange trop ; trop d’apport calorique par rapport à la dépense d’énergie (qui est en baisse puisqu’on est sédentaire), le corps stock cet excès d’énergie dans le tissus adipeux.
    • En mangeant des aliments bio, de production locale, on mange des aliments qui auront un meilleur apport en micronutriments (vitamines, sels minéraux, oligo-éléments), on limitera donc les risques de carences dans ces micronutriments. Ce qui est un avantage par rapport a une alimentation issue de l’agriculture productiviste et/ou industriel.

Concernant l’apport calorique, si je mange trop de ces aliments, l’apport calorique sera supérieur à la dépense d’énergie, une partie sera stockées dans le tissus adipeux.

Il est préférable de manger des aliments cuisinés soit même, cependant si en cuisinant j’ajoute trop de matières grasses (il n’y a qu’a regardé l’émission de Cyril Lignac sur M6, « tous en cuisine », il a la main lourde sur la matière grasse le chef ! apparemment il a eu la remarque. Je comprends qu’un chef ait cette tradition, n’oublions pas que la matière grasse est support d’arômes, développe les arômes, contribue à la texture des plats. Si c’est une alimentation occasionnelle au restaurant, cela ne sera pas un frein à l’équilibre alimentaire. Si cela devient quotidien et si les quantités servies à l’assiette sont plus importantes, l’excès calorique est là. Et comme c’est cuisiné maison, que celui qui l’a préparé est fier de son plats, les assiettes sont généreuses.

Le médecin nutritionniste ne souligne pas ces points, c’est dommage, il reste sur la satisfaction du constat : les français ont cuisiné des aliments bio, locaux…

Les grignotages

Ils sont caricaturés, même par le médecin nutritionniste « M. Patate qui regarde des séries en mangeant des chips », entendre cela de la part d’un médecin nutritionniste, je trouve cela inacceptable. On limite le grignotage au laisser aller, au manque de volonté…

C’est une nouvelle fois de la stigmatisation, comme s’il n’y en avait pas suffisamment comme ça. Toujours de la culpabilisation, de la destruction d’estime et de confiance en soi. Comme si cela n’était pas suffisamment douloureux comme ça.

Que fait-on du lien alimentation/émotions ? Chaque jour, au cours de nos consultations nous travaillons autour de ce lien, pour normaliser, apaiser, déculpabiliser, accompagner le besoin émotionnel, pour progressivement sortir des comportements de grignotages.

Cette une nouvelle occasion manquée de mettre en avant les vraies difficultés rencontrées par la majorité des personnes qui auront pris du poids, et de leur dire qu’il y a des solutions pour améliorer son rapport à l’alimentation et à soi.